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25 sept. 2007

A "trois-vingt"


Sièges ergonomiques, tablettes design, couleurs évoquant chaleur et confort, nid douillet à air conditionné. Seul un léger bourdonnement rappelle que l'ensemble glisse à plus de 200 km à l'heure. Le TGV Est européen, c'est le feng shui du voyage.

On bouge dans l'allée de la rame. Quelques murmures.

- Merci Madame ! Bon voyage.

Une sacoche noire calée sur un début de surcharge pondérale s'avance. Elle pèse sur une épaule bien ajustée dans une veste d'uniforme impeccable, surmontée d'un souriant visage lisse et rond.

- Bonjour Monsieur dame. Vos titres de transport, s'il vous plaît.

Dans un éclair métallique, un petit crocodile chromé s'avance instinctivement vers sa friandise favorite, prêt à mordre le rectangle de carton et reste en suspend. Bug !



- Le justificatif du tarif réduit s'il vous plaît.

Comme un mécanisme qui s'enraye, les épaules s'affaissent, la sacoche échoue sur la tablette, le ventre sur l'accoudoir, les lunettes s'ajustent, la visière remonte.

Il scrute la carte qu'on lui tend, ses yeux bleus vont et viennent des béquilles au regard alléatoire de la voyageuse et aux cheveux blancs de son compagnon.

Est-ce l'aspect usagé du document ? La photo ? Autre chose ? Fasciné, il tient du bout des doigts l'objet du délit tout en extirpant un énorme manuel format Bible. Il se met à feuilleter fébrilement, montre divers modèles de cartes d'invalidité. La verte n'y figure pas. Pédagogue, il explique les règles.

La voyageuse s'insurge :

- J'ai pourtant présenté cette carte à l'achat des tickets ! Pourquoi m'avoir accordé la réduction ?

- Les guichetiers ne sont pas tenus de vérifier votre demande de tarif réduit. Je ne mets pas en doute la réalité de votre handicap et le besoin d'un accompagnateur payant tarif réduit, mais vous êtes tout de même passible d'une amende.

A peine le mot magique prononcé, deux autres contrôleurs s'avancent pour bloquer l'accès au couloir de circulation.

- Inutile de nous encercler ! Pensez-vous que nous allons nous échapper en sautant du TGV ?


- Ah ah ! J'en serais surpris surtout que nous sommes bien à trois vingt là, répond le préposé en se tournant vers son collègue qui confirme.

- A trois vingt ? Mais c'est un langage d'automobilistequi se vante de sa moyenne sur l'autoroute. De grâce, restons dans le cadre du service public. N'oubliez pas l'image de marque que vous représentez ! C'est à vous de nous faire aimer le train paraît-il.

On entend quelques rires dans le fond.

- Et ne vous approchez pas comme ça, vous me faites peur. Voyez-vous je souffre de diplopie, c'est-à-dire que je vois double. Vous êtes trois, mais moi j'en vois six ! Je commence à me demander où sont les menottes que vous allez nous passer.

- Mais non Madame, nous ne sommes pas des croquemitaines.

Ça y est, il tombe dans le langage pour petits enfants. Les cheveux blancs sans doute ; bientôt il va donner du « mamie » et « papy » si ça continue.

L'employé modèle rayonne de pouvoir enfin utiliser son terminal mobile hig-tech embarqué.

- Votre nom s'il vous plait ?

- Mais il est inscrit sur la carte que vous avez en main !

Pourquoi l'aider ? On dirait qu'il soupçonne une utilisation frauduleuse en plus.

Entrée des données, calcul électronique, erreur d'impression, petite vérification, expulsion d'un pâle ticket rayé de lignes noires qu'il tend fièrement à la voyageuse.

- Excusez-moi, je n'y vois pas bien. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai besoin d'un accompagnateur pour lequel on m'a accordé la réduction que vous contestez. A combien, s'élève l'amende ?

- Il y a 25 euros de différence de tarif. Pour l'amende, cela va de 10 à 130 euros.

- Ah ?

- C'est à l'appréciation du contrôleur en fonction de la situation.

- Si le client a une bonne tête ou fait la forte tête ?

Il ne relève pas le sarcasme d'autant que quelques gloussements et commentaires à mi-voix bruissent à nouveau dans le wagon.

- Dans votre cas, j'ai seulement ajouté 10 euros car vous semblez de bonne foi.

- Je dois donc vous remercier, impossible de faire autrement. Mais sachez que je n'en ai pas envie du tout. Et que je vais contester cette amende dès mon arrivée. La carte que vous considérez comme valable je l'ai demandée voilà plus de six mois. Mais qu'on me l'accorde ou non n'a même rien à voir là-dedans. Car, si je comprends bien, ce que vous contestez, c'est la décision du guichetier qui a délivré le billet. En fait, c'est la SNCF que vous devriez verbaliser, pas moi. Une ambiguité très fructueuse. Récupérer d'une main ce qu'on a donné de l'autre, avec amende au passage, c'est lucratif. Je compte bien faire reconnaître cette contradiction.

- Madame, vous pouvez contester. C'est votre droit. Mais il faut payer d'abord, sinon ce sera plus cher.

- Evidemment ! Mieux vaut tenir que courir...Voulez-vous m'indiquer à qui je dois m'adresser ? A quel guichet puis-je aller, dès mon arrivée, récupérer ce hold-up sur la bonne foi ?

- Si vous voulez bien vous acquitter de l'amende, je vous donnerai ça ensuite.

- Puis-je payer en chèques-vacances ? Ah, j'ai un peu de monnaie aussi.

Il encaisse, puis note l'adresse du bureau de réclamation qu'il remet à la voyageuse et salue courtoisement avant de s'éloigner avec ses collègues. On l'entend commenter l'événement, docte et pédagogue à la fois. On comprend que ce sont des stagiaires chanceux qui ont eu in vivo, un cas d'école prestament résolu par leur mentor.


On approche de Paris, la banlieue défile derrière les vitres. Les deux voyageurs se regardent, mi-furieux, mi-rigolards.


- Il me reste 35 centimes dans mon porte-monnaie, heureusement qu'on rentre à la maison.

Cette nouvelle ligne TGV a coûté cher non ?

- Oui. Mais trois salariés pour récupérer 35 euros à l'heure. Pas très rentables les gars !








Paris gare de Lyon

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