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14 juin 2007

Vingt-cinq pieds de muguet


Elle étouffe dans le métro. Elle se perd dans ses rêveries pour échapper à cette atmosphère délétère. Peu à peu ses pensées s'envolent, comme souvent, vers Béchar.


Les vingt-cinq pieds de muguet, qui pointent leurs tendres griffes encore vertes, témoignent de tous les anniversaires fêtés ici, dans son jardin au milieu de ce que les ignorants appellent une " banlieue difficile ". Elle ne voudrait les perdre pour rien au monde, ces quelques fleurs, cette petite verdure dans la ville qui lui donne chaque matin un peu de joie de vivre.


Et pourtant, elle les donnerait volontiers pour revoir le pays tant aimé. Le Sahara.

Un pays où il faut être fort pour résister au climat et aux coutumes. Cet endroit est en elle depuis si longtemps maintenant, comme une petite blessure dont la cicatrice la démange encore. Une meurtrissure dont le sang est celui de la vie. Il reste dans son cœur une déchirure qui a fait jaillir la vitalité. De cette source a coulé le désir d’ouverture au monde, l’éblouissement, l’émerveillement d’une nouvelle contrée. C’est là que tout s’est éveillé en elle.


Sahara, immensité contenant toute vie et toute mort. L’oued Guir où vivaient autrefois, dit-on, des crocodiles. Il y avait encore assez d’eau dans ce lit aujourd’hui si sec, si craquelé. Elle aimait s’accroupir au bord, détacher de petites plaques d’argile, y faire tomber quelques gouttes d’eau et les laisser fondre dans sa main. L’argile se gorgeait d’eau, fourmillait de microscopiques bulles d’air lui chatouillant la paume, jusqu’à produire une pâte douce avec laquelle on pouvait se laver. Le ghassoul qu’elle achète ici dans les épiceries arabes, dont les propriétaires ne sont d’ailleurs pas souvent des Arabes.


Sahara de l’hiver aux journées si lumineuses et fraîches. L’air transparent sans le moindre Siroco, laissait le regard se porter loin jusqu’aux cimes enneigées du djebel Antar. C’était le plus surprenant. Comment ce pays brûlant pouvait-il abriter une montagne enneigée ? Le blanc est rare dans le désert. Tout est ocre, brun, caillouteux

. Les sommets lointains du djebel annonçaient l’eau pour le printemps. Une eau qui arriverait par vagues meurtrières, gonflant l’oued Béchar, inondant la ville basse que sa mère appelait la chaaba. Alors, le monde s’écroulait. Les briques de terre séchée au soleil fondaient comme l’argile dans le creux de sa main. Une catastrophe pour beaucoup de gens, une bénédiction pour la palmeraie régénérée par les eaux montagnardes. Les habitants reconstruisaient patiemment, chaque année, leurs maisons détruites, heureux de savoir que la récolte de dattes serait bonne, et les nourrirait encore cette année.


Chaque jour y était lumineux. La beauté ne cachait pourtant pas la misère traînant son couffin trop chargé dans les rues poussiéreuses. Les filles de son âge marchaient les pieds nus ornés d’une semelle de henné brun. Elle admirait les dessins délicats sur leurs mains, elle observait longuement les visages, fascinée par les tatouages bleus qui leur conféraient une noblesse qu’elle aurait voulu faire sienne. Sa mère ne comprenait pas cette attirance pour les voiles blancs et le rouge du henné sur les cheveux. Une attirance pour le mystère de vies si différentes et pourtant si proches.



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