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21 juil. 2007

N'ayons pas peur des mots


Ah, Monsieur ! On ne se méfiera jamais assez de la poésie, disait Marcel Aymé.




Maints exemples dans la littérature nous montrent la véracité de cette affirmation. De François Villon qui, par ses écrits, sut obtenir la clémence du roi malgré le meurtre qu'il avait commis, à Marcel Aymé qui publia La Vouivre en 1943, salué par la critique alors qu'il y faisait allusion à la vengeance contre un chevalier teuton.

Tout nous dit qu'il faut se méfier des mots. La psychologie est maintenant suffisamment répandue pour que nous sachions à quel point il est important de choisir les termes que nous employons pour ne pas enraciner des sentiments négatifs dans l'esprit de nos interlocuteurs, a fortiori quand ce sont des enfants.


Comment ne pas admettre que la parole est créatrice ? Ne serait-ce que lorsqu'elle fait de nous des imbéciles simplement parce que quelqu'un nous a traité de tel devant témoins.

Les mots ne sont pas innocents, même quand ceux qui les prononcent le sont.

Le rire nous différencierait des animaux, mas surtout la Parole. Et j'ai envie d'y mettre une majuscule tant elle peut condamner comme délivrer.


Voici une anecdote qui peut faire sourire. Pour ma part, des décennies après, je n'arrive toujours pas à choisir entre le rire et les larmes lorsque je l'évoque, tant les deux y sont mêlés.


« N'ayons pas peur des mots ! »


Dans sa soif, - ou plus souvent sa rage - de convaincre, notre père martelait ses phrases, parfois en hurlant. Car il employait cette expression aussi bien au cours d'un débat d'idées très animé que lors d'une colère : « N'ayons pas peur des mots ! Cet enfant est un fumiste ! Il se prépare un avenir tout juste bon à balayer les trottoirs ». C'était souvent l'entrée en matière d'une colère parfois ponctuée de coups.


Un petit enfant n'a pas conscience que ce qu'il dit est formé de mots et de phrases. Pour lui, « mot » ne signifie rien. Et si quelqu'un dit, d'un air terrible et courroucé en sa présence, qu'il ne faut pas avoir peur des mots, comme il dirait qu'il ne faut pas avoir peur de l'orage alors que le tonnerre gronde et les éclairs fusent autour de lui, il se dit qu'il y a sûrement lieu de s'en méfier quand même.




Ainsi Emmanuel, qui avait avait peur du noir comme tous les petits, refusait d'aller chercher le balai que nous devions utiliser à tour de rôle après chaque repas. Nous le rangions derrière la porte menant au sous-sol. Un endroit sombre d'où partait un escalier s'enfonçant dans les profondeurs d'une cave sans lumière. De quoi effrayer un petit bonhomme de trois ans à qui on avait recommandé de ne pas se rendre seul en haut de cet escalier dans lequel il aurait pu tomber. « Pourquoi tu ne veux pas aller chercher le balai lui demandait Odile ? « J'ai peur du « Mô », répondait-il en pleurant.

Elle tentait bien de le rassurer mais en vain. Et s'il trouvait le courage de s'aventurer quand même sur le seuil de cet antre redouté, il se trouvait toujours l'un d'entre nous pour lui rappeler avec force grimaces le danger qu'il courait : « Attention, je suis le « Môôô » !

Comme il n'était ni vindicatif ni dissimulé, nous avions découvert là un moyen de chantage à son égard. Il était facile de l'attirer vers l'endroit fatidique en lui disant que s'il répétait quoi que ce soit de nos bêtises, le « Mô » viendrait le manger. Nous n'avions pas conscience de la cruauté d'un tel comportement.

Nous en parlions en riant car nous nous demandions comment il avait inventé ce personnage mythique. Avec le recul j'ai honte tellement il était sans défense face à cette entité qui peuplait ses cauchemars.


Je ne sais pas lequel d'entre nous, je crois que c'est Odile, la fine mouche, qui comprit la première que le monstre supposé demeurer dans l'escalier de la cave et qui effrayait tant Emmanuel, n'était autre que le fameux « mot » dont notre père affirmait avec vigueur qu'il ne fallait pas avoir peur.


Quoi de plus logique ? Dans sa tête d'enfant, les mots étaient devenus quelque chose dont il fallait se méfier. Comment comprendre autrement les colères de notre père, ce géant courageux, sinon qu'elles étaient destinées à affronter le monstre sans ressentir aucune frayeur. Il n'en était pas de même pour notre petit frère si sensible. Il lui avait fallu inventer cet être maléfique, le « Mô », pour justifier les maux et les colères paternels qui le paralysaient d'effroi.



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