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8 juil. 2007

Journal d'une paresseuse





Paul Lafargue, le célèbre auteur du Droit à la paresse, m'a procuré une énorme satisfaction narcissique lorsque j'ai découvert qu'il avait osé...


Osé dire que la paresse se revendique.


La flemme aidant, j'ai vite abandonné la lecture de cet essai philosophique. Eh oui, il fallait faire un effort ; ça en se lit pas comme un pamphlet ou un roman. De la pure sociologie du 19è siècle : ça doit être ardu pour être sérieux. Et je l'ai trouvé très chiant.

Je ne l'ai donc jamais lu.


Je me suis contentée de savoir que certains étaient animés de la même soif de ne rien faire.

Des tas de gens ne font rien. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils sont paresseux. La preuve ? Ils s'ennuient. Un sentiment que je n'ai jamais éprouvé.

Ce qui m'ennuie ce sont les choses obligatoires, ce qu'il faut absolument faire. Même aller faire pipi, lorsque je préfèrerais rester à regarder un film ou bayer aux corneilles, cela me pèse.


J'en ai souvent éprouvé de la honte. J'ai tenté de me corriger, de me discipliner. En vain.



Je ne nie pas les joies de l'accomplissement. La satisfaction est intense de la chose produite, de la corvée qui n'est plus à faire, du plaisir offert à quelqu'un. Mais elle est toujours à renouveler, c'est ça qui est désarmant.



S'il fallait se contenter de s'en débarrasser pour se sentir libre, les choses seraient simples. Hélas, à peine fini, il faut recommencer.

Je n'éprouve pas la satisfaction du besogneux fier de remettre cent fois l'ouvrage sur le métier pour montrer au monde ses qualités de bon citoyen , employé modèle, mari exemplaire, ménagère accomplie, etc. (rayez les mentions inutiles à moins que vous ne fassiez partie de toutes ces catégories à la fois).


La bonne fille bien diciplinée, dont tous doivent être fiers, très peu pour moi.


Ce que pensent les autres ne m'est pas totalement indifférent mais n'égalera jamais la délicieuse sensation de n'avoir rien à faire, ou de l'avoir décidé, ce qui revient presque au même.

Et puis j'aimerais qu'on soit fier de moi pour d'autres raisons.


Pour moi, il n'est de meilleur plaisir que de faire ce qui me passe par la tête, suivre le papillon, prévoir puis changer d'avis au dernier moment. Me faire plaisir en un mot.



Cependant ce plaisir n'est pas complet. Car il est forcément des événements désagréables liés directement à ma paresse. Je ne serai jamais une contribuable exemplaire, une ménagère sans faille, une épouse parfaite, une mère acharnée à la propreté et au confort de sa famille, une employée consciencieuse.
J'ai l'étoffe d'une parfaite irresponsable.


Tout d'abord, j'ai la certitude que je ne serais jamais capable d'atteindre ces degrés de perfection prônés par la morale, directement issue de la religion. A quoi me servirait de courir, essouflée et insatisfaite, après une peronnalité qui m'est étrangère ? Lorsque j'essaye, je ne fais pas illusion longtemps.



Se donner des devoirs, ou accepter ceux qu'on nous met sur le dos, nous enchaîne irrémédiablement et nous place dans une situation de dépendance psychologique à tout ce qui touche à ces devoirs supposés indispensables à notre vie et au salut de notre âme.



Car si nous nous sentions libres de faire ou de ne pas faire, de choisir entre telle ou telle activité, comment la morale, la politique, l'Etat, auraient-ils une quelconque emprise sur nous ?


La vaillance peut s'exprimer de bien d'autres façons
qu'en faisant le ménage et la cuisine, le bricolage et le sacro-saint métier qui autorise notre participation à cette société.


Un des principaux inconvénients, c'est quand quelqu'un débarque à l'improviste.

Là ça peut devenir hard.


Les amis sont gentils et disent toujours "Ne t'en fais pas, chez moi c'est pareil'.

J'ai trop envie de rire quand on me sort ça, car c'est faux la plupart du temps.

Comme ce pieu mensonge est destiné à me rassurer, je ne polémique pas.
Déjà que je leur impose cet état de choses, je ne vais pas, en plus, leur imposer une discussion sur l'ancienneté des poussières et autres balivernes. Sans doute, si j'en parle, c'est que j'aimerais que cela soit différent.


Faire un café à quelqu'un quand il n'y a pas une seule tasse propre
, que la boîte de sucre est constellée de tâches brunes suspectes et que la table est recouverte de tout ce qu'on veut, ça demande d'énormes efforts. Pour mes amis, j'ai envie de le faire, mais j'aime mieux qu'ils me préviennent. Comme ça je me prépare à les recevoir. C'est pas pour ça que ça sera nickel, mais il y aura un peu de vaisselle et quelque chose dans le frigo. Malgré tout, il y a des gens que je n'inviterai jamais chez moi car ils ne supporteraient pas. Je cache donc ma paresse à ceux qui ne pourraient pas m'accepter telle que je suis. Je parle de ceux dont l'avis m'importe, évidemment.
Les autres, je m'amuse de leur effarement, comme cet employé du gaz qui est venu l'autre jour relever mon compteur.



Ensuite il y a toutes les variations sur le thème "il faut se respecter", "on ne peut pas faire autrement", "je ne suis pas une souillon", j'en passe et des meilleures.

Pour moi, le mot "souillon" renvoie directement à une pauvre Cendrillon, mal lotie, mal fagotée et obligée de servir ses fausses "soeurs". Eh bien, je me sens "souillon" quand je fais les besognes de la maison.


Ce n'est pas que ça me dérange de nettoyer. J'aime même plutôt ça, surtout quand c'est fini. Mais c'est comme la cuisine. Il faudrait que ce soit de temps en temps, parce que j'en ai envie, qu'il fait beau ou que quelqu'un va venir me voir. Alors
j'ai plaisir à faire les choses mais en prenant le temps (un élément important dans cette affaire), en bidouillant dans les coins, en m'arrêtant pour fumer une clope, bref, en prenant du plaisir. Décidément je me répète.


Que signifie "se respecter" quand on se force à se lever de bonne heure pour accomplir toutes les tâches rebutantes que personne n'appréciera ?
Que signifie "on ne peut pas faire autrement" quand il est si simple de ne pas faire ?



Je n'ai jamais exigé de mon chéri qu'il accomplisse les bricolages auxquels la plupart des hommes sont contraints par leur compagne. De quel droit exigent-elles, sinon parce qu'elles exigent d'elles-mêmes et se "vengent" en quelque sorte sur l'autre pour qu'il soit contraint, lui aussi ?



Le quotidien, c'est le contraire du plaisir.
Et ça je ne m'y habitue pas. J"ai bien peur de ne jamais m'y habituer.


Combien de fois ai-je entendu, dans mon enfance, les soupirs consternés de ma mère : "tu es si lente !", "tu rêves". Elle n'avait jamais le temps, et pour cause, on n'a pas le temps avec huit enfants. L'exemple ne m'a pas suffit.


On m'a appris le goût de l"effort. Je l'ai appliqué uniquement à ce qui rapporte
: le travail rémunéré, la seule obligation que je m'impose pour des raisons évidentes de survie. Mais là aussi j'affectionne les postes où je travaille seule, où je peux répartir les moments intenses et les moments de rêverie, choisir par quelle tâche je vais comencer ou finir. Je peux travailler longtemps et ardement, à condition que cela m'apporte quelque chose, sans parler du salaire mais de la découverte, du plaisir d'une tâche intéressante. En cela il y a une reconnaissance du travail accompli, que je ne demande pas aux autres mais à moi-même.
Je n'ai pas acquis le goût de l'effort humble
, celui qui ne sera jamais couronné de lauriers, celui de chaque jour, sans gloire ni recompense, celui du don de soi.


Que ceux qui me jugent égoïste se demandent en quoi d'autres sont-ils altruistes lorsqu'ils houspillent toute la famille pour que tout soit mpeccable, lorsqu'ils obligent les autres à suivre leur ligne de conduite, ou quand ils exigent de leurs entourage accomplissement de certaines tâches considérées comme indispensables par eux, et non par ceux à qui ils les imposent.



Et qu'on ne me dise pas que c'est "pour leur bien".
Si c'était vrai, ils pourraient facilement le démontrer et transmettre cela dans l'enthousisme et la joie. Ma mère avait coutume de nous dire, lorsqu'elle nous soignait un bobo
"si ça fait mal c'est que ça fait du bien".


Eh bien, pour moi, si ça fait mal, c'est que ça fait mal, donc j'évite.


Ce n'est guère prudent de ma part de me dévoiler ainsi, quasi en public.

Si quelqu'un veut me prouver que j'ai tort, et peut m'expliquer comment changer dans la joie et la bonne humeur, je suis preneuse de la recette.

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