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7 sept. 2007

Vilain petit canard












Ce n'est pas un scoop, je ne suis jamais rentrée dans les cases.


D'un inconvénient qui m'a valu les pires moqueries dans mon enfance, je crois que j'ai voulu - plus ou moins consciemment - faire un avantage. La meilleure défense étant encore l'attaque, si vous êtes une fourmi rouge parmi les noires, mieux vaut lever haut le drapeau et revendiquer la différence. Sinon les noires vous boufferont. Et si on doit se faire bouffer de toute façon, je préfère choisir, quand c'est possible, à quelle sauce je vais être mangée.


Quelquefois, malgré ce parti pris, je me demande s'il faut en rire ou soupirer.

La semaine dernière, une charmante orthoptiste m'a encore confirmé cet état de choses.Elle multipliait les tests d'un air dubitatif. Chaque fois qu'elle recommençait un examen, je m'appliquais à bien positionner ma tête sur l'appareil, à tenir le baton-témoin sans trembler, pensant que c'était moi qui faussais le contrôle.

Puis, elle dit :

- Vous avez deux yeux directeurs !

- Ah bon ? Qu'est-ce que c'est encore que ça ?

- Oui, tout le monde utilise un oeil dominant, comme on a un côté du corps plus large que l'autre, un pied qu'on avance en premier ou une main préférée. Vous, vous utilisez tantôt l'oeil gauche, tantôt le droit selon que vous regardez de près ou au loin. En fait, vous vous adaptez, selon la distance ou la gêne ressentie.


Elle continua :

- Nous ne pouvons donc pas corriger votre diplopie par les prismes habituels. Il faudra vous contenter d'utiliser alternativement les caches que vous avez bricolés.

- Eh bien, voilà une économie pour la Sécurité Sociale ! Le gouvernement va être fier de moi.

Soulagement : cela n'empêche pas l'intervention chirurgicale.

Interrogation : falait-il me désoler d'être, une fois de plus, différente des autres ?

Ou fière de mes facultés d'adaptation, si ancrées qu'elles sont devenues inconscientes ?

Je me suis excusée sur le mode humoristique, pour la forme, tout en me réjouisssant secrètement de cette nouvelle preuve que je serai toujours une fourmi rouge.



C'est le travail de toute une vie d'affirmer ce que l'on est, le revendiquer et l'assumer. C'est d'ailleurs souvent très fatigant.

Mais j'ai toujours eu beaucoup de chance. La chance de pouvoir utiliser cette lutte contre la douleur que causent la méchanceté et la bêtise. La force qu'elle m'a donné a envahi toute ma personne, m'a aidé à gagner une certaine liberté d'esprit. Ou alors est-ce la paresse de travailler à devenir conforme ? Quoi qu'il en soit, puisque je n'étais pas comme les autres et ne le serai jamais, pourquoi m'échiner à suivre le rythme d'un troupeau où je ne battais pas l'amble ? Combat inutile et perdu d'avance !


Qu'importe ceux qui m'ont forcée à écrire de la main droite ? J'ai survécu et j'aime écrire.

Et les racontars, les doigts pointés , lorsque j'annonçais ma future maternité à des pisse-froid qui s'offusquaient de mon célibat ? Maintenant, cela ferait rire. J'ai l'outrecuidance de croire que c'est un peu grâce à des personnes comme moi qui ont ignoré le qu'en dira-t-on pour vivre, tout simplement.


Pourquoi suivre le chemin des autres s'il ne convient pas ?

J'ai ressenti très tôt ce que coûte d'essayer d'entrer dans les cases sans y parvenir : l'impression de n'être acceptée que sous condition, la sensation de suivre un drapeau qui n'est pas le vôtre, une morale qui vous répugne, une politique qui vous jette à terre, bref, un désespoir sans fond où l'on est à jamais étranger à soi-même.


Prendre le parti de me battre n'a pas été un réel choix mais un réflexe de survie. C'est mon oeil directeur. Et il ne change pas celui-là.


Bien sûr, la médaille comporte un revers : une agressivité constante, dont je n'ai la plupart du temps pas conscience et que l'on me reproche sans cesse; une prétention sans borne, et une tendance à prendre systématiquement les chemins de traverse, même lorsqu'il faudrait emprunter l'autoroute avec les autres.

J'ai commis beaucoup d'erreurs dans ce sens. J'en demande pardon à ceux qui en ont subi les conséquences. Je leur demande seulement de comprendre que je n'en tire pas gloire, mais jamais je ne renierai ce choix car il m'a sauvé la vie.


Le vilain petit canard est tué à coups de bec par les autres. Sauf s'il se défend...

On dit des cygnes qu'ils sont prétentieux et agressifs. Est-ce parce qu'ils sont libres et que personne ne leur tord le cou pour les manger ? Le monde est peuplé de cygnes qui s'ignorent, s'éreintant à vouloir ressembler à des canards. Je ne suis peut-être qu'une poule d'eau, étrangère aux deux nichées, mais je voudrais dire à tous les cygnes qu'il n'est pas trop tard pour gonfler leurs plumes et glisser vers leur destin sans se préoccuper des barbotteurs.








Photo Nelly Johnson©

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