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17 févr. 2008

The Desert Cries



En mémoire d'Elsa, Thierry, et Chin, et leurs neuf compagnons de randonnée, qui ont perdu la vie le 12 août 1997, alors qu'ils visitaient joyeusement Antelope canyon. Le texte qui suit est extrait du livre de Craig Childs, The Desert Cries. Il est respectueux de leur mémoire. Je souhaite qu'il ne soit pas cruel pour ceux qui les aimaient.


Leur souvenir est vivant pour nous, qu'il le soit aussi pour beaucoup d'autres, ici ou là-bas.



« Je suis debout sur cette faille d'Antelope Canyon, une mince fissure dans la roche à l'extrême nord de l'Arizona, une attraction touristique de la Réserve Navajo. Il fait nuit en bas, comme si je regardais à travers le toit fissuré d'une mosquée dont l'intérieur ne serait pas éclairé. Une échelle en métal, m'invite à descendre. Il y a d'autres gens avec moi, des amis. Nous avons payé chacun 17,50 $ de droit d'entrée à un concessionnaire de la réserve. Nous attendons, et passons un par un. Il ya à peine assez de place pour se serrer l'intérieur. Au-dessus du garde-fou, un panneau peint à la main avertit qu'il y a danger de crue.

Sous la surface, le « tambour de machine à laver ». A l'intérieur de la fissure, le terrain s'élargit. Les échelles conduisent plus loin, là où le canyon se transforme en caverne. C'est vraiment une grotte. Il s'agit d'un canyon souterrain. Le soleil y est le plus souvent absent, l'air est froid tout à coup. Cela est dû à la grande profondeur du canyon à cet endroit. Les inondations l'ont sculpté, en laissant un espace au sein de la roche. Ses parois sont nues et rapprochées, à l'instar de deux hauts bâtiments proches à se toucher, laissant à peine assez d'espace entre eux pour y marcher. Par endroits, des grilles et barreaux de métal drapés de débris enchevêtrés, laissés par les inondations. De petites pierres sont encastrées dans la moindre enfractuosité, la pression des eaux les y a incrustées. Nulle part ailleurs sur la planète, la puissance de l'eau n'a sculpté pareille merveille claire et gracieuse. Mais pour l'instant, le canyon est complètement sec.


Lissées de chaque côté, les parois rocheuses ressemblent davantage à un drapé de tissu qu'à de la pierre. Le canyon reproduit indéfiniment cette image, comme un labyrinthe de miroirs. D'énormes nageoires et des condyles de grès reliant des centaines de tonnes de roche, soutenues par leurs propres courbes. Je marche. Lentement. La prochaine échelle apparaît, et je saute quelques marches pour éviter de heurter la tête de la personne qui me précède.

Nous utilisons des adjectifs banals. «Stupéfiant», «beau», «incroyable», sont les seuls mots qui nous viennent. Je lève la tête vers le haut du canyon profond de soixante mètres. Je me demande si un artiste humain pourrait jamais reproduire cela. Dans quelle matière ? Peut-être avec du marbre poli à la main, ou peut-être avec de la soie. Dans la pénombre, trop profonde pour lire, je vois une petite tache claire sur le mur au-dessus de moi. Ce n'est peut-être qu'une légère variation dans la couleur de la roche. Je me hausse pour la toucher. C'est la lumière solaire reflétée et distordue qui parvient de si loin, qu'elle s'est transformée en une légère tache sur la roche.



Je me glisse de biais à travers le passage suivant, carressant le grès lisse sous mes mains. J'arrive dans un espace béant, où les parois du canyon s'élèvent, incurvées en vagues. Un de mes amis est debout au milieu. Le sol sablonneux sous ses pieds est parfaitement plat. Il utilise tout son corps pour me décrire le passage de l'eau ici. Il lève ses mains en l'air. Il m'explique comment un rapide, tourbillon d'eau serré de 40 mètres de hauteur, agit comme un tour contre toutes les surfaces. Il décrit le passage de l'eau dans la roche lors d'une inondation. Quelqu'un serait projeté comme une boule de flipper. Tout autour et tout autour et tout autour.

«Pense à une personne, à l'intérieur de cela, dit-il. «Il n'ya pas moyen de s'en sortir."

Je fais le tour du lieu, en examinant le tire-bouchon géant creusé par les inondations. Les parois rocheuses reflètent le passage de l'eau. Je peux voir chaque tour, pareil à un bain à remous monstrueux aspirant du haut jusqu'en bas, taillant un passage aux formes plus fluides et courbes que le creux d'une cuillère.

Je le regarde et dis: "Savais-tu qu'une personne a survécu à une inondation ici ?


Je regarde en arrière, en continuant à marcher tout autour du tire-bouchon
, décelant du regard les traces d'inondations. En arrivant à nouveau à sa hauteur, je lui demande, "Qu'est ce que cela signifie si quelqu'un a été blessé dans un tel déluge, seulement ballotté par l'eau, et est sorti du canyon en vie ?"

Il n'a pas de réponse à cela. Je n'en ai pas non plus. Les mécanismes de l'eau sont incroyablement complexes. Une tension se crée entre la résistance de la pierre et le pouvoir d'érosion de l'eau en mouvement. Cette forme qui reste - une longue et étroite demeure pleine de sombres allées et parloirs – est une question pour la recherche géomorphologique.

Je cherche aussi une explication. Je lutte pour trouver un équilibre entre les ténèbres et l'espoir. Je n'arrive pas à trouver la ligne nette que j'aimerais percevoir entre les deux, elle n'existe pas dans ce canyon. Tout ici est circulaire, difficile à définir, sans angle net. Gravité, élégance, terreur, et beauté sont inséparables dans Antelope Canyon. Il est difficile d'en trouver le sens parce que je vis dans un monde où les choses humaines sont clairement définies comme bonnes ou mauvaises. Ce canyon et ses inondations ne cadre pas très bien avec cette façon de penser.


Nous sommes comme des ventriloques chaque fois que nous parlons ici. Nos voix tournent et résonnent à un autre endroit. Chaque fois que je déplace un tant soit peu les pieds, le son de ma phrase ou mon changement de position font voyager le son qui me revient comme dans une salle de concert. Même d'écrire dans mon carnet de notes, le grattement de ma plume fait écho dans les espaces restreints. J'imagine que le son suit le même chemin que l'eau, les vagues et les remous roulant en épousant chaque alcôve. Un cri serait un éclatement vague éclaboussant le parapet. Mais personne ne crie. Le canyon nous exhorte à nous déplacer en silence.



J'arrive dans une salle où des fleurs ont été laissées en haut d'un empilement de roches, en retrait dans un renfoncement vaguement obscur en forme d'oreille. Au-dessus des fleurs, trois noms à peine lisibles sont gravés dans le mur. Les noms seront effacés par la prochaine inondation. Je les reconnaîs. Ce sont les noms de trois des personnes qui sont mortes ici, Elsa Pascual, Chee Chin Yang et Thierry Castell. Il est étrange d'entendre les gens parler à haute voix dans cette salle commémorative - ou même dans tout le canyon. Il y a quelques rires, une petite pose-photo. Je me souviens que les gens dont la vie s'est arrêtée ici avaient des appareils photo avec eux. Ils étaient tout aussi enchantés alors qu'ils traversaient l'endroit.


Mourir ici, je pense, serait comme être aspiré par un trou noir dans l'espace. Chaque loi physique est ramenée à son principe de base. Les sons, l'eau, la pierre et la lumière sont les mêmes, tout aussi distordus dans la recherche d'une issue. Ces gens, leurs corps ont été volés dans un lieu idéal. Je ne peux pas parler en leur nom ou pour leurs familles et amis survivants. Mais je peux me poser la question pour moi-même. Serait-ce le lieu idéal pour mourir ? Ce serait une mort rapide et difficile, je le sais. Même les fantômes sont récurés et lavés dans cet endroit. J'essaie de chasser cette pensée de ma tête, parce que je me souviens que des enfants ont été laissés sur place, par leurs parents tués ici, là où je me tiens en ce moment. Je ne connais que des détails sur les morts, les bijoux qu'ils portaient, leurs loisirs, leurs amitiés. J'ai parlé avec des gens qui ont tiré leurs corps de la chaotique terre noire laissée par l'inondation, et j'ai vu la douleur sur leurs visages.

J'imagine qu'ils sont morts comme ça, comme nous, en traversant le canyon aujourd'hui. Juste en train de voyager, de vivre la vie, atterrés par la beauté du lieu. Chacun avec ses pensées distinctes, quand soudain, ils ont tous eu la même question : quel est ce grondement sonore ? Puis, l'oubli.

L'une des personnes avec moi ici vient d'Australie.
Il s'agit d'un globe-trotter. Laissant courir sa main sur l'un des murs, il sent des picots et des creux, et des roches laissées par les inondations. Il me dit que cela lui rappelle des villes européennes. "De nombreux édifices sont criblés de balles et d'éclats d'obus de la guerre", dit-il. «Toutes ces traces laissées dans les murs sont comme des cicatrices de guerre."

Chacun d'entre nous passe le long de la paroi et caresse les trous. «Vous pouvez ressentir chaque rocher », dis-je. «Comme ici ». Mon doigt glisse sur une longue estafilade. « C'est le coup de poing d'une pierre lors d'une inondation. »
(...)


Il y a un endroit lumineux devant moi. C'est une aveuglante lumière qui brille contre le sol. Je marche vers elle. Autour, les murs rougis luisent dans la lumière. C'est le seul endroit où parvient directement la lumière du soleil qui vient frapper le sol. Le rayon a la forme d'un poignard, si brillant que je ne peux pas le regarder en face. J'avance ma main. Une ombre dure rompt la lame de lumière. J'y passe ma main, je l'étudie, je sens le pouls de la chaleur.

Je me demande, « à quoi pensaient-ils avant de mourir ? » J'ouvre ma main vers la lumière du soleil, une poignée de terre dans ma paume. Je regarde ma main comme si elle chauffait à blanc. Ils ont été immergés dans l'étrange beauté de ce canyon, dans ses bizarreries et ses miracles, une main s'est tenue dans un éclat de soleil, quand ils ont entendu le bruit d'une inondation s'engouffrant comme une locomotive. Ont-ils su ce que c'était ? Quand ils ont vu cela, ont-ils eu le moindre soupçon que c'était réel ?»




Craig Childs vit à Crawford, au Colorado, en compagnie de son épouse, l'artiste Regan Choi. Il est l'auteur de The Desert Cries (Arizona Highways Books, 2002), duquel ce texte a été extrait, et The Secret Knowledge of Water (Little, Brown & Co., 2001).


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